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INTERVIEW DE VINCENT ENOUF

De quelles manières vous-même et votre équipe à l’Institut Pasteur êtes-vous impliqués dans la recherche sur le virus Covid-19 ?

Notre implication dans le diagnostic et la recherche sur le Covid 19 a été très précoce. Notre CNR (Centre National de Référence), est responsable de la surveillance des virus respiratoires, avec un objectif de détection le plus rapidement possible pour que les autorités de santé, que ce soit Santé publique France ou la DGS, puissent lancer toutes leurs mesures de traçabilité.

Tout notre travail est là : de la recherche au développement pour avoir une technologie de détection adéquate. C’est le cas pour le Coronavirus ; nous avons eu la chance et l’opportunité de détecter les premiers cas, donc de tirer la sonnette d’alarme et de tout mettre en place pour tracer afin d’éviter la diffusion du virus dans la population…ainsi les premiers clusters, ont pu être identifiés et circonscrits rapidement suite à la détection rapide et au travail de traçage des cas contacts.

« Lorsque l’on apprend qu’il y a un nouveau virus qui commence à circuler en Chine, en tant que CNR (Centre National de Référence), nous savons que nous allons devoir mettre en place une technologie qui va permettre de détecter ce nouveau virus. Ce sera faisable à partir du moment où les équipes chinoises vont mettre en ligne les séquences de ce nouveau coronavirus »

Notre CNR a mis en place une technologie de détection qui sera ensuite diffusée à l’ensemble des hôpitaux, et tout cela s’est fait très rapidement après le 24 janvier, quand furent détectés les premiers coronavirus. Ensuite, le CNR va cultiver le virus… et la plateforme P2M (Plateforme de Microbiologie Mutualisée) analysera le séquençage. Nous aurons donc, assez rapidement détecté et séquencé les premiers virus européens ».

Une collaboration s’est mise en place assez rapidement, avec le réseau international, l’OMS et le CDC. Ce sont des réseaux avec lesquels nous avons l’habitude de travailler, notamment sur la grippe et avons des bases de données qui permettent à l’information de circuler très vite.

Après l’augmentation importante des cas de coronavirus en Italie, on commence également à observer malheureusement une augmentation des cas en France. A partir de ce moment, de nombreux laboratoires de recherche en France vont initier des travaux sur la Coronavirus et vont mettre en place des collaborations nationales et européennes.

Quels ont été les principaux freins que vous avez rencontrés dans vos recherches durant cette période ?

Nous étions face à une situation qui ne faisait qu’évoluer… pour laquelle nous n’étions pas forcément préparés à un instant T et il fallait réagir le plus rapidement possible ! Je dirais que l’Institut Pasteur nous a donné tous les moyens pour réagir. Que ce soit des moyens techniques, ou des moyens humains dont nous avions grandement besoin puisque nous recevions énormément d’échantillons. En effet, les laboratoires hospitaliers ne pouvant pas utiliser la technologie de détection, nous envoyaient leurs prélèvements. Nous sommes ainsi parfois monté jusqu’à 400 prélèvements/jour que nous analysions dans la journée. Les résultats tombaient le soir ! les résultats étaient donnés le jour même.

Une nécessité d’organisation, de logistique et de management au niveau de l’équipe compte tenu de l’augmentation du personnel au sein du CNR pour permettre de faire face ; les collaborateurs de l’Institut Pasteur se sont rendus disponibles pour nous aider avec beaucoup de bonne volonté. Nous étions désignés comme un laboratoire essentiel pour la surveillance de ce virus, il était donc impossible que ce laboratoire ferme ou que le personnel ne puisse pas venir ou même faire du télétravail. Tout a été organisé pour que tout le monde soit présent, c’était essentiel !

Évidemment, au départ, nous sommes tous là pour « sauver le monde » et donc les séquences du virus sont partagées… c’est à dire que si vous avez besoin de ces séquences pour faire une publication, pour les étudier, pour faire de la phylogénie, vous devez prévenir le laboratoire qui a séquencé ce virus de manière à faire un papier en commun, une collaboration. Après il faut que tout le monde joue le jeu de la collaboration…. Sinon, il y a un frein qui peut s’opérer, …. la philosophie étant de mettre les séquences le plus rapidement possible sur la base de données pour pouvoir les comparer avec d’autres séquences dans le monde entier et vérifier s’il y a des mutations qui apparaissent et qui pourraient être intéressantes, des mutations qui, dans un sens comme dans un autre, peuvent augmenter ou diminuer la dangerosité du virus.

« PibNet » a initialement été créé pour valoriser les échantillons biologiques de l’Institut Pasteur. Il a été déterminé que cette valorisation des échantillons, se ferait dans un premier temps, par le séquençage plus systématique de ces échantillons quand c’était possible. A donc été créé P2M (Plateforme de Microbiologie Mutualisée), la plateforme de séquençage. C’est cette plateforme qui a permis de faire le séquençage du covid-19 ! Ce séquençage a permis, par la suite à des équipes spécialisées à l’Institut Pasteur, de faire la phylogénie* directement liée à la géographie et la symptomatologie, et l’analyse bio-informatique. Nous avons pu ainsi essayer à ce moment-là, de déterminer quels étaient les premiers virus ayant circulé, que ce soit en Bretagne, dans l’Est, en Ile-de-France et savoir si ils étaient semblables ? Est ce qu’il y a vraiment un patient zéro ? Toutes ces questions de recherche en phylogénie ont été possibles grâce au séquençage réalisé sur P2M.

*histoire de l’évolution du virus

En termes de fonctionnement PibNet, c’est de l’organisation et de la recherche.

Le projet est très axé santé publique, on fait de la recherche & développement initialement pour être en capacité de détecter et de mettre en œuvre des technologies. On fait appel à des chercheurs, des ingénieurs… qui vont permettre la compréhension de différents aspects liés aux virus : quelle stabilité dans le temps ? quelles conditions pour le cultiver ?… Est-ce-que telle ou telle mutation provoque une moins bonne capacité de culture du virus ? Il y a beaucoup de questions qui se posent pour la compréhension d’un virus…

Le côté international est très important pour PibNet : Pasteur International Bioresources network est un réseau qui rassemble l’ensemble du réseau international. Il constitue un lien entre tous les protagonistes et joue un rôle important entre ces différents instituts.

Ça fait maintenant cinq ans que MSDAVENIR voit le projet grandir, notamment au travers des réunions avec le comité scientifique une à deux fois par an, pour échanger sur les avancées de la plateforme, l’organisation des laboratoires et la coordination du réseau, avec la mise en place de logiciels informatiques qui permettent à chacun des laboratoires, que ce soit à Paris, ou dans le réseau international, de réaliser le séquençage, à titre d’exemple, au Maroc, en Algérie, en Guyane ou en Afrique centrale…